J’ai visité hier après-midi l’exposition Our body à corps ouvert, espace de la Madeleine à Paris. Le lundi, c'est tarif réduit alors il y avait beaucoup de jeunes, ados, étudiants en médecine ou en arts plastiques avec de grands cartons à croquis. C’était détendu, bon enfant et silencieux. Des murs noirs, des textes lumineux dans des cadres en plexiglas, des corps écorchés ou en tranche, c’était ça le silence. Une atmosphère feutrée, ouatée et la sensation dérangeante de commettre un sacrilège.
Parce que si on est concerné, étudiant ou médecin, on observe l’anatomie sous un angle très professionnel et passionnant. Le procédé de conservation par imprégnation polymérique, est saisissant. La peau soulevée, les muscles écartés du corps ou restés en place, les os innervés, les yeux, les paupières, les cils, les dents, les doigts, les ongles, les pieds… On reste fasciné. Et les corps sont en situation, tirant à l’arc, jouant aux échecs ou roulant à vélo. Ca permet d’apercevoir les organes en action, la tension des muscles et des nerfs. Aucune fonction n’est oubliée, déglutition, respiration, digestion, élimination, reproduction… La langue, les poumons, le cœur, l’estomac, les reins et la vessie, le vagin, l’utérus, la verge et les testicules. Biologie, sciences de la vie, sciences naturelles, leçon de choses. On appelle ça comme on veut, question de génération. Mais dès qu’on aperçoit un petit morceau de peau collé aux organes, on pense à quelqu’un de vivant, on voit le bonhomme. On se dit qu’il avait une vie, des enfants, une femme qui sait, qu’il a donné son corps à la science et qu’il la sert. Et qu’elle s’est servie de lui sans tout lui expliquer avec franchise. Il y a même une descente de lit, je ne peux pas dire ça autrement. La peau d’un corps, tannée, étendue comme un trophée, la tête à l’air d’un masque, les bras et les jambes sont étirés. On marcherait dessus….
J’ai choisi de m’y intéresser sous un autre angle, de me dire que tout ça, c’est moi aussi. Ca rend modeste, ça décomplexe, ça désinhibe. Tous ces cadavres font que je regarde mon nombril et celui des autres. Le but est là. Alors après, si je me dis que les poumons sont des éponges, et que leur vascularisation ressemble à du corail, que les ongles ont l’éclat de la nacre, que les muscles faciaux me rappellent des branchies, et que tous ces organes décollés ont l’air de nageoires, ça me regarde. Je peux toujours prétendre que je me suis fait le musée océanographique, si j’ai peur d’avouer que j’étais venue aussi pour ça : le côté malsain.