Allez, on va appeler ça fenêtre sur cour. Ca consiste à être un beau jeune homme, à épier les voisins et à se faire dorloter par une grande blonde très classe tout en élucidant un crime. Et bien sûr il est handicapé par un pied dans le plâtre. Ca c’est dans le film. Dans mon cas, il y a le pied, le plâtre, et c’est pas le pied. D’abord je suis une femme, pas très jeune mais qui fait comme si. Ensuite, épier les voisins n’aurait rien de folichon, car chez moi, c’est fenêtre sur rue. Et puis la grande blonde, c’est moyen, c’est pas un fantasme qui me concerne. Moi j’ai mon doudou, le même qu’il y a vingt trois ans. Il a blanchi et s’est enrobé un peu. Il se demande si le calvaire qui le guette, trois semaines avec moi ronchonnant dans le canapé n’est pas plus atroce que vingt ans de mariage. Mais il fait face courageusement, les courses, la litière des chats, la gamelle des chats, celle des enfants et la mienne. Et si j’insiste un peu, pas trop, faut pas pousser, il passe la serpillière et l’aspirateur. Il s’adapte, il compose, il grince des dents en dedans.
Il faut dire aussi que j’ai pas été maligne. Un petit rayon de soleil, trois degrés de plus, le printemps qui arrive et hop ! J’ai enfilé la mini robe que je me suis achetée et les bottes djeunes qui vont avec. Et j’ai joué à être la copine de ma fille. Eh bien, je suis certaine que les bottes, elles ont fait exprès. Ah ouais, tu te crois encore dans le coup, eh bien prend ça ma vieille. Et que je dérape dans le parking, juste avant d’arriver à la voiture. Bécassine et ses quatre fers en l’air. Courageuse, pas crié, pas pleuré. Restée digne. Juste appelé doudou avec mon portable. Et les copines au bureau. Pour qu’elles fassent sans moi. J’imagine la scène, parce que ça les amuse forcément de se représenter ma pomme étalée comme un chou à la crème. Enfin, ça les amuse mais ça désorganise le planning. Mais je leur fais confiance, je suis un gros chat impotent et absent, alors les souris pendant ce temps…
Mon problème c’est que j’ai personne à espionner. Hier c’était la journée « j’attends ». Les résultats de la radio et qu’on me plâtre à l’hôpital. Dans la salle, j’ai fermé les yeux parce que tous ces gens qui souffrent, ça me stresse. Et ces goujats qui ont failli buter dans mon pied, je les aurais tués. Au moins, je n’ai pas vraiment entendu passer le temps. Aujourd’hui clouée dans mon canapé, je le vois et je l’entends. Il est dans chaque lettre que je tape sur l’ordinateur et je m’ennuie. Alors j’extrapole, je recrée mon univers au boulot.
Le bruit des imprimantes, les « bonjour madame, bonsoir, à bientôt, pas plus de six par jour, à garder au réfrigérateur »… L’odeur du café à 10 heures, les caisses qui s’empilent dans l’entrée. Les « hello les filles » du livreur, les compliments parfois douteux des clients, leurs réclamations, leur anxiété, leurs angoisses. Et nos bavardages de filles qui agacent parfois le seul homme de l’équipe. Tout cela constitue l’ambiance d’une pharmacie. ET ME MANQUE !!!
J’ai trois semaines à râler sur mon sort. Enfin, ya pire. Je me dis que les jours rallongent, que mes minis, j’aurai toujours l’occasion de les remettre. Un peu de patience. Ce sera fenêtre sur court.