Voici ma deuxième participation au jeu de Lénaïg
Proposition A : inventer une histoire qui commence par :
"Il leur avait semblé à tous les trois que c'était une bonne idée d'acheter ce cheval"...
et qui finit par :
"On entendait leurs doux pépiements sortir des cases."
Il leur avait semblé à tous les trois que c’était une bonne idée d’acheter ce cheval à bascule. Car Julie en rêvait depuis si longtemps. L’an dernier à Noël, elle avait eu un vélo et une voiture. Mais sur le vélo elle s’ennuyait, elle était distraite et regardait les gens, les arbres, les papillons. Elle ouvrait de grands yeux perplexes comme si la lune allait rentrer à l’intérieur, et l’empêcher de voir que l’ami Pierrot affûtait sa plume. Elle était dangereuse, il avait fallu non pas lui courir derrière mais se placer devant. La recevoir de plein fouet comme un tank. Elle avait éclaté d’un rire de petit cabri, comme dit son père. Une légère stridulation qui s’achève comme le clapotis de la grêle sur de la tôle. Très amusant la première fois mais au troisième coup de guidon dans les jambes, tonton Paul avait râlé. Ta fille, c’est une brute, il avait dit. Aussi délicate que toi, ma sœur, il avait ajouté. Je me demande bien comment Roger se débrouille avec vous.
Dans la voiture, Julie était concentrée. Elle fronçait les yeux, son front paraissait plus bombé et brillant que d’habitude. Elle rentrait le menton dans son cou grassouillet, à nous deux, le monde ! Ses deux mains bien parallèles s’emparaient du guidon, un pouet pouet de klaxon et gare à vous. Les roues glissaient sur le plancher, comme une jeune vie vers son avenir. Pétarade, vitesse, coin de table et ouin, ouin….
Tonton Paul avait déclaré, solennel, l’année prochaine c’est moi qui choisit. Les deux autres n’avaient trop rien dit. Ils devaient reconnaître que c’était souvent tonton Paul qui jouait les bottes de paille dans les tours de piste improbables de Julie. Et puis Julie était très gâtée, elle avait appris à les « faire tourner farine », tous les trois. On le voit bien là, sur les photos avec le Père Noël et le petit frère. Julie est en gros plan, en avant. Comme si elle avait gagné la course, et qu’elle devait figurer en première page dans le journal. Entre nous, le Père Noël peut jouer au grand monsieur, il a l’air tout ridicule avec son ours et son ballon gonflé avec des yeux. Julie, elle, mérite la coupe du vainqueur.
Donc cette année ce serait un cheval à bascule. Mais tonton Paul, il n’avait pas tout prévu. Que Julie allait hurler parce que ça n’avançait pas, que la bascule rayerait le parquet, que les ressorts à force de s’étirer briseraient un petit os dans les oreilles de papa, et que maman finirait par jeter cette horreur à la poubelle.
La solution vint de Julie elle-même. Elle réclama un ordinateur. Enfin une boite avec des boutons pour faire apparaître des images. Des images qui défilent vite, qui font rouler les yeux dans les orbites, et de la musique avec. On lui offrit une Nintendoplay quelque chose… avec un CD pour apprendre les notes. Elle s’asseyait à même le sol, sa tête reposait contre l’assise du canapé. Elle pouvait rester longtemps ainsi, dans le tripotage d’un engin moderne et rudement instructif. On distinguait des carrés sur un écran. Au centre de chacun, des moineaux ouvraient le bec et produisaient un son correspondant à une note, lorsqu’on appuyait sur une touche. On entendait leurs doux pépiements sortir des cases.