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14 août 2012 2 14 /08 /août /2012 10:00

 

Voici ma deuxième participation au jeu de Lénaïg

Proposition A : inventer une histoire qui commence par :

"Il leur avait semblé à tous les trois que c'était une bonne idée d'acheter ce cheval"...

et qui finit par :

"On entendait leurs doux pépiements sortir des cases."

 

 Noel2.jpg

 

Il leur avait semblé à tous les trois que c’était une bonne idée d’acheter ce cheval à bascule. Car Julie en rêvait depuis si longtemps. L’an dernier à Noël, elle avait eu un vélo et une voiture. Mais sur le vélo elle s’ennuyait, elle était distraite et regardait les gens, les arbres, les papillons. Elle ouvrait de grands yeux perplexes comme si la lune allait rentrer à l’intérieur, et l’empêcher de voir que l’ami Pierrot affûtait sa plume. Elle était dangereuse, il avait fallu non pas lui courir derrière mais se placer devant. La recevoir de plein fouet comme un tank. Elle avait éclaté d’un rire de petit cabri, comme dit son père. Une légère stridulation qui s’achève  comme le clapotis de la grêle sur de la tôle. Très amusant la première fois mais au troisième coup de guidon dans les jambes, tonton Paul avait râlé. Ta fille, c’est une brute, il avait dit. Aussi délicate que toi, ma sœur, il avait ajouté. Je me demande bien comment Roger se débrouille avec vous. 

Dans la voiture, Julie était concentrée. Elle fronçait les yeux, son front paraissait plus bombé et brillant que d’habitude. Elle rentrait le menton dans son cou grassouillet, à nous deux, le monde ! Ses deux mains bien parallèles s’emparaient du guidon, un pouet pouet de klaxon et gare à vous. Les roues glissaient sur le plancher, comme une jeune vie vers son avenir. Pétarade, vitesse, coin de table et ouin, ouin….

Tonton Paul avait déclaré, solennel, l’année prochaine c’est moi qui choisit. Les deux autres n’avaient trop rien dit. Ils devaient reconnaître que c’était souvent tonton Paul qui jouait les bottes de paille dans les tours de piste improbables de Julie. Et puis Julie était très gâtée, elle avait appris à les « faire tourner farine », tous les trois. On le voit bien là, sur les photos avec le Père Noël et le petit frère. Julie est en gros plan, en avant. Comme si elle avait gagné la course, et qu’elle devait figurer en première page dans le journal. Entre nous, le Père Noël peut jouer au grand monsieur, il a l’air tout ridicule avec son ours et son ballon gonflé avec des yeux. Julie, elle, mérite la coupe du vainqueur.

 Noel1

 

Donc cette année ce serait un cheval à bascule. Mais tonton Paul, il n’avait pas tout prévu. Que Julie allait hurler parce que ça n’avançait pas, que la bascule rayerait le parquet, que les ressorts à force de s’étirer briseraient un petit os dans les oreilles de papa, et que maman finirait par jeter cette horreur à la poubelle.

 

La solution vint de Julie elle-même.  Elle réclama un ordinateur. Enfin une boite avec des boutons pour faire apparaître des images. Des images qui défilent vite, qui font rouler les yeux dans les orbites, et de la musique avec. On lui offrit une Nintendoplay quelque chose… avec un CD pour apprendre les notes. Elle s’asseyait à même le sol, sa tête reposait contre l’assise du canapé. Elle pouvait rester longtemps ainsi, dans le tripotage d’un engin moderne et rudement instructif. On distinguait des carrés sur un écran. Au centre de chacun, des moineaux ouvraient le bec et produisaient un son correspondant à une note, lorsqu’on appuyait sur une touche. On entendait leurs doux pépiements sortir des cases.

 

 

 

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7 juin 2012 4 07 /06 /juin /2012 10:00

Exercice effectué d'après photo, selon la consigne de  Miletune

 

 

 Rz 77a

 

CHAROGNARD!

Ils sont derrière moi, je les sens. Tous ces chasseurs de photos volées, ces tripatouilleurs de l’objectif, ces rampants constrictors. Comme si les rédactions n’avaient pas assez de photos de ma frimousse. Avec celles qu’on leur vend de l’étranger et celles qu’elles stockent dans leurs archives, elles disposent pourtant de matériel. J’aurai trouvé plus correct que ces écornifleurs prennent rendez-vous. Qu’on définisse ensemble le genre et le lieu.

J’ai le cheveu splendide, la main et le pied aussi. Cela me vaudra peut-être un cliché mystère, tout en nuances. La crinière chatouillée par le vent, la main virevoltante et le pied charnu offert à un soleil tiède. Le pied... Plein shoot dessus, je ne rêve pas. J’ai bien perçu un flash. Mais c’est qu’il est assuré mon pied, j’ai passé contrat avec Akiléine! Les charognards… Je ne me retournerai pas. Pour ma bobine, je veux être payée.

Je suis en vacances, ils ne manqueront pas de zoomer sur le Gala que je feuillette nonchalamment. Ouvert à la page « trois kilos à perdre avant l’été ». La feuille de chou va titrer : Mansfield a grossi ! en première page. Fatal !

La chemise à carreaux, pas top ! Mais ils ne tablent ni sur de la photo d’art, ni sur des poses lascives. Les carreaux bleus et blancs offrent une touche zen, décontractée, simple. Bon ça, pour le public, non ?

La branche de mes lunettes. Ca m’embête un peu qu’on pense que j’ai besoin d’aide à la lecture. Je vais me tourner, discrètement, qu’on devine à peine. Qu’on oublie. Que tout se confonde dans mes cheveux. Brillants, lourds, soyeux, mes cheveux. Un atout certain. Que m’a affirmé la secrétaire ? L’Oréal voudrait me contacter. Oh, je suis débordée !

Une petite chose me dérange, le décor. Quand on est connue, les bords de plage paradisiaques c’est obligatoire. Pour le business, pour la notoriété. Ils auraient pu attendre, je pars aux Maldives la semaine prochaine ! Ce gazon vert pomme et miteux qu’on dirait planté au bas d’une tour dans une cité HLM, ne pouvait être pire !

Quant au banc, non mais vous avez remarqué, banal, sans caractère. Comme ceux qu’on achète chez ce marchand de meubles nordique. I quelque chose. Si jamais ils osent prétendre qu’ils m’ont photographiée chez moi dans mon jardin et sur mon banc ! Je nierai, ce n’est pas moi sur la photo. Quelle idée de persécuter, dans le dos, une star qui se repose.

Tiens, je viens de voir ma photo dans « Chic et Choc » en quatrième de couverture. Elle illustre un article intitulé : « Que lit la France en vacances ? ». Ma chemise à carreaux est quelconque et le vent a tourné les pages du magazine. On aperçoit des voitures, un habitacle. Comme si j’étais passionnée par Auto Moto. Il faut croire que les paparazzi m’ont shootée sans me reconnaitre sur ce banc. Ou alors si… Mais ils n’ont pas osé citer mon nom…. Ou pas voulu me déranger... Me mettre mal à l’aise? Me critiquer?

 


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4 avril 2012 3 04 /04 /avril /2012 10:00

 

 

images (62)

 

Marnie déclara qu’elle le ferait elle-même. Lassée de quémander comme une indigente et d’entendre le son de sa voix revenir à elle tel un écho choquant les murs de l’appartement. Elle enfila son manteau et noua son écharpe serrée sur sa gorge. Le printemps était sournois, il offrait de grandes bolées d’air humide et froid auréolées d’or jaune. Marnie enfouit ses mains dans les poches de son manteau emmenant avec elle un peu de la chaleur trompeuse de la maison.  Elle ferait front, ne serait pas surprise.

Dehors à l’ombre, elle frissonna. Mme Dussault marchait devant elle, du pas tranquille de qui a la journée devant soi. Drapée dans un long poncho marron de laine épaisse, elle portait le petit vélo vert et jaune de Toby. Elle venait de déposer l’enfant chez sa nourrice, ses bottes à pompom dansaient et rythmaient sa marche. Marnie imagina Toby tenant son biberon dans sa menotte, et caressant son doudou de sa main libre, les yeux mi-clos. Toby rêvait d’un ours en peluche et d’un petit camion. Dépêche-toi, finis ta brioche, rouspétait  sa mère. Et Toby répondait : c’est pas une brioche, c’est une galette.

Mme Dussault ôta ses gants rouges, délicatement comme une dame de la haute société, venue rendre visite à l’heure du thé. Elle prit les clés dans sa poche et ouvrit le portail bleu de la villa. Marnie pensa qu’elle soupirait derrière, le dos contre le métal froid, puis elle entendit crisser le gravier. Un petit bruit strident et bref comme le pépiement des oiseaux.

Marnie regarda l’heure à sa montre, neuf heures dix. Elle avait tout son temps. Elle traversa le boulevard et aperçut Mr Gilles debout les bras croisés devant le garage. Depuis le cancer de sa femme, il sortait peu. Ou alors il tournait la tête pour ne voir personne, pour ne renseigner personne. Et qu’on arrête de le dévisager, cette pitié de façade, ces visages contrits, tout desséchés. Les gens ressemblaient à des pruneaux, secs et sucrés. Trop sucrés. Aujourd’hui Mr Gilles a le nez frétillant comme pour humer le printemps. Marnie se dit que Mme Gilles allait mieux et se fendit d’un : fait frais ce matin. Sa voix était  rude, gaillarde. Oh oui, répondit l’homme en faisant mine de se caresser les bras.

Jeannette avançait sur le trottoir, le portable collé à l’oreille. Elle hurlait à tue-tête, comme pour stopper les nuages qui osaient marbrer le bleu du ciel. Elle racontait que Jean Paul rentrait du travail à dix-neuf heures trente et se mettait devant l’ordinateur, sitôt le repas terminé. On n’a plus de vie disait-elle. Elle portait un legging noir,  ses petites fesses rondes se dandinaient. Elle marchait à l’ombre mais  l’espace derrière elle était comme surchauffé par la colère. Marnie sourit.

 Neuf heures trente. Marnie rejoignit Joël qui prendrait le métro avec elle, certainement. Il portait une saharienne et un grand sac à dos et tenait un sac de sport à la main. Il allait vers la gare du Nord. Dans son sac, il y avait son costume, ses chaussures, sa cravate. Il disait souvent : je vais faire le pingouin dans des salles de conférences glacées comme la banquise. Marnie et lui se plaisaient bien. Cela se voyait dans leur sourire tremblé et les petites manières de leurs yeux qui se tournaient autour sans s’accrocher.  Mais ils étaient mariés. Ils avançaient dans l’allée au milieu des villas, un chat miaula sur leur passage. Leurs mains se frôlaient. Cette sensation de chaud, de froid, cette marche silencieuse dans un soleil capricieux, jouant à cache-cache avec les corps, avec les cœurs.

Dans l’allée piétonne, au tournant,  les cerisiers fleuris formaient une haie triomphante nimbée de rayons lumineux en forme de guirlandes. Le ciel clignotait et il y avait dans l’air un crépitement joyeux comme une fanfare. Quelques pigeons roucoulaient et s’éparpillaient au sol ainsi que de gros confettis. C’est le plus beau moment de ma vie se dit Marnie, un instant de grâce. Un voile passa devant ses yeux.

Elle s’engouffra dans le métro, fit une bise à Joël. La porte du wagon faillit se refermer sur elle. En face une jeune fille dormait, elle ouvrit les yeux, se pinça les lèvres. Neuf heures quarante -cinq. Marnie commença son livre par les pages de la fin, un recueil de nouvelles, ça se lit dans n’importe quel sens. Elle descendrait au terminus, elle pouvait se permettre d’ignorer les autres.

 

 

 

 

 

 

 

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11 février 2010 4 11 /02 /février /2010 13:04

Pour répondre aux "casse tête" des quinze derniers jours, chez Lajemy: Contes et légendes et histoire de coeur.

Si je racontais une histoire alliant personnages de légendes et passion amoureuse, je ferai je crois, d’une pierre deux coups. Il s’agit d’un conte haïtien extrait des « Contes et légendes des Antilles ».  

 

Le soir tombe tôt dans les îles et nous sommes installés, vous et moi, sur la véranda d’une habitation créole. Notre hôte est un antillais aux cheveux tout blancs et crépus. Il est vêtu d’une chemise et d’un pantalon blancs. Il porte un chapeau bakoua sur la tête et se balance sur une chaise à bascule. C’est l’heure  du ti punch coco et des accras. Ecoutez ses paroles, elles lui sont soufflées par des volants, ces humains qui se transforment en oiseaux et voyagent au-dessus de nos têtes.



 haitienne-peinture.jpg

 

Zilia était la fille de Ménélas. Elle faisait rêver tous les  jeunes hommes  du village. Elle ensorcelait les cœurs des humains mais les animaux et la nature étaient aussi sous emprise. Ainsi Thézin un joli poisson argenté tomba fou amoureux d’elle. En bondissant au bord de la rivière, il fit miroiter ses écailles au soleil et réussit à se faire aimer de la belle. 363-903-large.jpg

Zilia lui rendait visite en cachette de son père et se baignait à ses côtés. Mais dès qu’elle s’en allait Thézin troublait l’eau de la rivière, pour s’amuser. Et quand Jean, le frère de Zilia voulait en ramener une jarre pleine, elle était toujours boueuse. Jean se faisait gronder, alors que sa sœur, elle, ramenait toujours de l’eau claire comme du cristal. Alors il voulut accompagner Zilia qui se dérobait chaque fois. Il la suivit en cachette.

 

Il la vit chanter langoureusement au bord de l’eau :

-         Thézin, mon bel ami, me voici… Me voici…

Et à son étonnement, il aperçut un poisson nageant en direction de la pierre où sa sœur était assise, dans un petit bassin dissimulé par une branche.

Il raconta cette aventure à son père, exprimant sa surprise devant l’étrange tendresse qui liait sa sœur à un petit poisson.

Ménélas connaissait les histoires des divinités haïtiennes comme « Maîtresse d’l’eau » et leur redoutable pouvoir de séduction. Il décida de délivrer sa fille malgré elle.

 fa9003


Un jour,  Thézin prévint Zilia : « Dès que tu verras trois taches de sang sur ta robe blanche, tu sauras que je ne suis plus ».

Le coeur de Zilia battit la chamade. Un grand froid l'envahit.  Le lendemain, tandis qu’elle vendait des légumes au marché,  Jean et Ménélas se rendirent au bord de la rivière, imitant la voix chantante de la jeune fille.  Thézin, d’abord méfiant, ne se montra pas. Ménélas prononça alors les mots  magiques des dieux de Guinée. Une force surnaturelle contraignit l’amoureux à présenter ses flancs au sabre de Ménélas.

 

A la même heure, trois petites taches de sang apparurent sur la robe de Zilia qui se précipita à la rivière. Elle chanta longtemps, en vain.

Assise derrière la maison de son père, elle reprit ses chants désespérés des heures durant.  Peu à peu, elle disparut sous terre. Ménélas qui passait là, ne put que retenir une mèche de ses cheveux.

Par delà la mort, le bel amour triomphait. Zilia et Thézin, le poisson argenté prolongèrent leur idylle jusqu’aux limites du bonheur.

 

Il fait un peu froid ce soir, vous ne trouvez pas ? Si nous reprenions un tit verre de punch ?

 

 

 

 

 

 

 

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17 mars 2009 2 17 /03 /mars /2009 15:13





Elle les a envoyés promener. Son frère, ses bonnes voisines, ses amis. Des faiseurs d’histoire, pas francs, pas sincères. Ne sont restés que sœur Joëlle de  la paroisse et le pharmacien, celui dont c’est le métier d’écouter.

Elle a borné sa vie de visites et de coups de fil de l’église à la pharmacie. Après s’être baladée comme une bille de Flipper, bondissant de cible en bumper, se gardant de disparaître sur le côté du plateau. Avec sa gouaille et sa voix grave elle évoquait mai 68, ses talents de manucure dans un salon de coiffure pour hommes, les clients qui ne se gênaient pas pour farfouiller sous sa mini jupe. Commentait son divorce d’avec un mari récalcitrant. Ponctuait ses déclarations d’un : ouais, qu’est-ce que vous croyez, c’était comme ça ! Ses grands yeux bleus roulaient dans leurs orbites, illuminaient son visage déjà fatigué. Et son chignon riquiqui, aplati comme un soufflé sorti du four, vacillait sur sa tête.

 

Elle a choisi de vivre calfeutrée, soustraire le spectacle de sa souffrance aux mauvaises langues. Je dirais plutôt qu’elle se transformait en petite souris dans son trou, rideaux tirés, portes hermétiquement fermées, pièces de la maison condamnées. Elle entassait les boites et les flacons de médicaments, constituant un mur derrière lequel elle se retranchait. Là, au milieu de ses lévriers, autrefois médaillés émérites, elle avait son monde. Fabriquait des mixtures à base d’alcool et d’essence de lavande, de citronnelle, ou d’un concentré de perlimpinpin hyper efficace pour la peau, le coryza ou la tendinite. Elle brandissait gaiement ses mixtures au nez du pharmacien : eh, vous voyez, je l’ai essayé, regardez ma boule là sous le menton, vous ne trouvez pas qu’elle diminue, hein, hein, j’ai pas raison ?

Elle a accepté la radiothérapie mais refusé la chimio : ils veulent me tuer, pas folle hé, j’ai lu le compte rendu, c’est quoi ce mélange antimitotique, vous pouvez me sortir l’analyse sur internet ? Elle se tournait, scrutait les uns, les autres, clignait des yeux, s’asseyait un instant, avalait un gorgée d’eau dans une petite bouteille recouverte d’un sac plastique. Puis se relevait, au début, quand elle pouvait encore tirer sa charrette jusqu’à l’officine. Parce que c’était un spectacle Mme B. dans la rue, avec sa casquette, sa charrette et son foulard. Toute frêle, amaigrie de jours en jours, mais rouspétant après les médecins, les voisins. Une énergie débordante lui permettait de repérer les beaux garçons dans la rue et des bibelots hétéroclites sur le marché, de répertorier tout ça et de faire des remarques grivoises.

Ses chiens, c’était sa vie, elle les élevait, les présentait à des concours, et les vendait. C’était sa source de revenus avant qu’elle ne devienne garde malade de sa maman âgée. Mais difficile de sortir dix à quinze lévriers élevés en appartement. Elle était organisée, une vraie femme d’affaires. Des cages, des serpillières. Et un grand lit partagé par tous, n’en déplaise au mari. Au fil du temps, il y eut moins de chiens et le dernier, Trinidad, avait une grosseur sous le museau, comme sa maîtresse. Elle essayait sur lui ses mixtures, en comparait les effets sur elle, sur lui. Elle envisageait leur départ, ensemble, lovés l’un contre l’autre. En attendant elle le nourrissait de blancs de poulet comme un pacha, se réservant la peau. Et ce, jusqu’à ce que ses forces déclinent.

 

Un jour on l’a retrouvée allongée sur le sol de son appartement, comme recroquevillée sur un morceau de fromage empoisonné. Elle n’est pas revenue à elle. Elle avait cinquante huit ans. Trinidad poursuit son chemin, ailleurs, sa tumeur n’évolue pas plus que ça. Peut-être que Mme B. lui a concocté une potion depuis l’au-delà et la lui applique soir après soir, délicatement. 

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7 mars 2009 6 07 /03 /mars /2009 16:35






Il est parti sans moi. Il a dit le Mexique, à ce prix, c’est une occasion unique, je ne raterai ça pour rien au monde. Je n’y croyais pas mais il l’a fait, s’est racheté des bermudas et des sweets, une nouvelle paire de lunettes noires et un chapeau pour le soleil.

Il m’a laissé les gosses et l’école, Paris, le ciel gris et  un vent glacial. Il m’a laissé le train train, le grand lit, le chat, les rats et les cochons d’inde. Pour la compagnie : les clings, clings dans la cage ça fait du bruit, je ne suis pas seule. Pour la fourrure : en glissant ma truffe dans les poils de Gris Gris, j’ai chaud. Et puis il y a Facebook, ça c’est pour les amis, les vrais, les proches. Les virtuels. Je m’amuse comme une petite folle. Même que je garde le chien du voisin, il ne fait que des bêtises, bouffe la selle de mon vélo et sème de l’engrais dans le jardin. Réparer, ramasser ça m’occupe. Tant que ce n’est pas moi que je ramasse.

Le boulot me distrait. Je vois des têtes et je papote, je pense à autre chose qu’à lui, sous un parasol sirotant une caïpirinha. On a même ouvert le champagne avec les collègues. C’était bien, une petite fiesta dans ma tête, des maracas et des aïe, aïe, aïe, aïe, aïe, Palomaaaa…. Je crois que je vais aller chez le coiffeur, changer de tête avant qu’il ne rentre. Dix neuf ans qu’il se coltine une rousse, je peux tenter le blond. Qu’est-ce que je risque ? Qu’il ne remarque rien, c’est tout. Ca ferait mal quand même…

Ce soir je vais au Ciné avec mon fils, le plus jeune. Qui n’est accaparé ni par les filles, ni par ses études. Il est disponible et patient. Disons qu’il m’aime autrement. Que sortir avec maman ne l’humilie pas encore.

 

Il faut que je maigrisse, c’est pas nouveau. Mais j’ai faim. Rien que de penser à des tacos, fajitas et autres enchiladas, j’ai envie de me goinfrer de guacamole en feuilletant un livre sur la civilisation Maya. Je fais des efforts, jogging… mou… dimanche juste avant de préparer le repas. Mais ça creuse, dès le retour, je me précipite sur des galettes de maï… de son, pardon. Et puis préparer de repas de trois gaillards adolescents ça n’aide pas. Je vais à la piscine… Je m’y ennuie, les longueurs, c’est monotone.

 

Il ne faut pas m’en vouloir mais sans lui qui s’amuse sans moi, je déprime. Je ne vais pas mal mais je ne suis pas très bien. J’ai l’impression d’être une biscotte émiettée, de perdre de ma substance. Je guette la sonnerie de mon portable et consulte mes mails tout le temps. Vivement dimanche, parce qu’il rentre dimanche. Ca fait quinze jours qu’il est parti et nous ne sommes jamais restés éloignés l’un de l’autre si longtemps. J’irai le chercher à l’aéroport, je porterai ma robe bleue, ou la jaune. Oui… Non… J’ai le temps d’y réfléchir.  J’ai le cœur qui palpite et les mains moites. Comme une jeune fille à son premier rendez-vous. Comme si notre histoire allait commencer. Comme si quelque chose basculait, comme si le temps imprimait sa marque. Et nous indiquait une direction nouvelle à prendre.  

 

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10 janvier 2009 6 10 /01 /janvier /2009 13:48

 

Consigne 12: écriture sur image.








C’était la vue que j’avais depuis sa chambre à l’hôpital, quand je lui rendais visite. Les bateaux sur la Garonne, les  arches des ponts et le quai de Tounis  dans cette lumière ocre et rosée si particulière à Toulouse. Il lui restait sept mois d’une vie déclinante, rythmée par mes visites hebdomadaires. Elle réclamait une description détaillée du dehors à chacun de mes passages. Pour vivre les saisons, pour observer l’horizon. Ainsi elle oubliait que sa vision n’allait pas au-delà des barres métalliques de son lit, qu’elle ne pouvait plus marcher, qu’elle ne savait ni le jour, ni l’heure.

Je n’étais pas toujours d’humeur. Il pleuvait au mois de mars, le ciel était gris, une pellicule blanchâtre recouvrait le fleuve et mon coeur partait en vrille. J’évoquais un soleil tiède et des amoureux blottis dessous. Autant pour moi que pour elle. Elle n’était pas sotte et pas encore tout à fait déconnectée. Elle trouvait bizarre que le ciel charrie de gros nuages gris. Alors je mentais. Ta chambre est à l’ombre je disais, c’est normal, tu ne vois rien. D’ailleurs c’est pour ça que tu me demandes de te décrire. Elle avait un petit rire perdu et recrachait la purée que j’essayais de lui enfourner à tout prix.

En avril et mai, la chaleur entrait dans la chambre et par la fenêtre ouverte, elle entendait des voix, des bruits de pas. Je jurerais qu’elle écoutait glisser les péniches, qu’elle s’imaginait à bord, sur le pont, qu’elle se penchait afin d’apercevoir leur reflet dans l’eau. Car elle plaisantait quand je poussais son chariot à travers les couloirs, en direction des salles de radiothérapie. Elle disait, souquez moussaillon, gardez le cap. Et son petit crâne à la chevelure clairsemée dodelinait gravement.

En juin elle me réclama son livre de comptes. Je veux savoir ce qui me reste, j’espère que tu ne te sers pas au passage, dis moi…. Elle posait un regard vague sur les chiffres, tournait les pages puis refermait le livre. Elle suppliait, dis moi plutôt ce que tu vois sur l’eau, est-ce que tu entends les clapotis. Y a-t-il du monde sur les pelouses, sur les berges ? Je parlais de la couleur de « Garonne », d’un vert tendre obscurcit par des détritus, le long des quais.  J’évoquais le ruban sinueux du fleuve et le calme, l’apaisement que ça déclenchait en moi, de le suivre des yeux. Lentement. Son visage s’éclairait, irradiait.

Juillet et août furent difficiles. Elle dormait beaucoup, avait le sommeil agité. Je remontais ses couvertures sous le menton, replaçais un bras, une jambe qui s’en échappaient. Puis je retournais à la fenêtre, remplissais mes yeux d’images pour les lui restituer à son réveil. Tu vois quoi, c’étaient ses premiers mots. Je parlais du vent, des arbres dont les feuilles luisaient au soleil et posaient des perles dans l’eau comme des bijoux. Alors elle réclamait ses boucles d’oreille, se lassait, demandait sa jupe bleue puis la jaune et se rendormait épuisée.

Septembre fut son dernier mois. Elle avait tout le temps froid, ses jambes la faisaient souffrir atrocement. Elle demanda à voir, de ses yeux. Qu’on lui trouve un fauteuil, qu’on le hausse à la hauteur de la fenêtre ouverte. Qu’on lui passe un manteau, qu’on la couvre d’un châle, qu’on s’exécute. Et je l’ai regardée remplir ses poumons, écarquiller les yeux, lever les mains en les agitant comme pour dire au revoir. Elle s’était tassée soudainement, une péniche s’éloignait au loin. Pensait-elle au long voyage qui l’attendait ?

A son départ, j’ai acheté une carte postale avec un pont, des arches, un bateau filant sur une eau multicolore. J’avais décidé qu’elle l’emporterait avec elle. Je l’ai placée entre ses doigts croisés sur sa poitrine.

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25 novembre 2008 2 25 /11 /novembre /2008 21:45


70 - Début et fin + Ecriture sur image (Flora)




Qui ces fauteuils attendent-ils? Ou quoi? Vont-ils être témoins de quelque chose? A vous de le dire en utilisant impérativement les début et fin que voici:


Début: "Les deux hommes attrapèrent leur imperméable puis partirent en toute hâte."
Fin:
"Mais comment pouvait-on donc faire ainsi la pluie et le beau temps?"



Les deux hommes attrapèrent leur imperméable puis partirent en toute hâte. Il était quinze heures trente quand Arnaud reçut un appel téléphonique de la clinique. Il était en réunion ave le grand patron, et la sonnerie de son portable fit mauvais effet. Quand il en expliqua la raison, on le félicita et, en lui tendant son imperméable, on le pria de s’en aller sur le champ.

Il était quinze heures trente six quand Clément entendit retentir : « one, two, three, four », les paroles du dernier tube de Feist. Il bloqua son portable à l’oreille tout en guettant son tour devant les guichets de l’ANPE. Se saisissant de son imperméable déposé sur le dossier d’un siège, il  sortit comme un zébulon.

Arnaud riait tout seul dans la rue et les passants lui trouvaient un air glauque. Il s’engouffra dans le métro et repensa mentalement aux gestes qu’il devrait accomplir. Il s’était tellement préparé à ce jour. Retourner à la maison, prendre les deux valises, téléphoner à sa mère, prévenir la femme de ménage, qu’elle nettoie la poussière dans la chambre bleue.

Clément sentait des ailes lui pousser dans le dos, comme si quelqu’un lui donnait de petites tapes amicales : eh vieux, c’est super ce qui t’arrive ! Il faillit rater les marches du bus. Deux ados lui lancèrent un : dis donc mec, t’es d’jà hors jeu ! Il leur décocha un sourire et s’installa tout au fond. Là où l’on peut mater ses voisins ou tourner le dos au bus, regarder derrière soi comme si la vie d’avant s’éloignait et qu’on lui disait au revoir.

Arnaud manqua sa station et dût prendre la rame en sens inverse tout en pestant contre lui-même : quel idiot je suis, je risque d’arriver quand tout sera fini ! Dans la rue il s’arrêta devant la vitrine d’un magasin de meubles. C’était plus fort que lui, tout ce bleu dans le décor, c’était l’océan, il était Ulysse et cédait à l’appel des sirènes. Il imaginait dans quelques années, ces deux fauteuils occupés par lui et… Il s’ébroua… Eh bonhomme tu es qui, et tu fais quoi ? Il se mit à courir jusqu’à la maison.

Clément, dans le bus,  fut irrésistiblement attiré par une affiche sur un panneau publicitaire. Deux fauteuils très modernes placés l’un à côté de l’autre, pour accueillir des altesses ou des chefs d’états. Qui ?  Leurs altesses sérénissimes des jours meilleurs. Pour quoi ? Pour célébrer le merveilleux événement à venir. Il se mit à rire. Tout seul. Sa voisine se leva et le dévisagea du coin de l’œil. Elle s’éloigna en pressant son sac contre sa poitrine.

Arnaud jeta les valises dans le coffre de sa voiture et calma ses nerfs en fumant une cigarette. Après quoi il démarra en trombe, ignorant les passages cloutés, les piétons et les feux aux carrefours. Il démarrait sans crainte car un bonheur fou le rendait intrépide. Mais il se reprit, ce n’était pas le moment de se montrer imprudent, de briser sa famille à peine constituée.

Clément, descendit du bus en se tapant le front avec le poing. J’aurais quand même pu prendre un taxi, se dit-il. J’ai tellement besoin de la serrer dans mes bras, de lui dire, de penser à nous, à demain… Vite, vite, à nous la vie belle, neuve, à nous et à cet enfant dont nous allons….

Arnaud se gara dans le parking de l’hôpital et pensait ressortir pour passer chez le fleuriste. Mais les valises l’encombraient. Il redescendrait tout à l’heure après avoir embrassé Rosalie et le bébé. Son bébé, ce petit bout d’homme tout rose et vagissant. Cet amour de miniature, à qui ressemblait-il ?

Clément acheta des chocolats, une impulsion soudaine, une envie de femme enceinte ? Décidément... Il pirouetta dans la rue, un petit saut d’allégresse, une fantaisie de gamin. Il manqua de trébucher une seconde fois. Il se composa un visage plus serein, et pénétra dans le bâtiment.

 

Arnaud se renseigna à l’accueil, dépêchez-vous lui dit-on, le travail a commencé, vous n’allez pas tarder à être papa. Clément fut arrêté par la gardienne : monsieur, votre femme… Oui, je sais j’y vais… C’est le courrier monsieur, elle vous demande de le monter… Ah, euh, oui…. Arnaud coupa le cordon ombilical. Clément se précipita dans la salle. Arnaud prit son enfant dans ses bras pour la première fois, tout chaud, moelleux, humide. Clément se rua sur Armelle et l’étreignit à l’étrangler : tu ne t’es pas trompée vraiment, ces sont les numéros exacts du loto. Cette maison dont nous rêvons, cet enfant à venir, tous ces projets vont vraiment réaliser…

Arnaud se plaça devant la fenêtre et bébé cligna des yeux. Il en a fallu des tentatives, des FIV, des pleurs, du courage, pour t’avoir, toi. Arnaud posa ses lèvres sur la joue de  son enfant et effleura celle de Rosalie. Puis il dirigea son regard vers le ciel, remerciant Dieu.

Clément éloigna Armelle et l’observa longuement. Il  prit délicatement le coupon qu’elle lui tendait et y appliqua l’extrémité de ses doigts tel un aveugle lisant en Braille.

A dix sept heures trente dans une chambre de la clinique et à dix sept heures trente six, chez lui, Arnaud et Clément eurent la même pensée : mais comment pouvait-on donc faire ainsi la pluie et le beau temps ?

    

 

 

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11 novembre 2008 2 11 /11 /novembre /2008 18:27

Consigne 61 D’Ecriture Ludique

 

Deux personnes se promènent dans une forêt. Leur chemin se sépare un instant, pendant lequel l'une des deux (le personnage principal), suite à un phénomène étrange, découvre une sorte de "boîte"...

A partir de ce canevas très simple, racontez-nous une histoire où vous pourrez décider absolument de tous les détails, le but étant comme pour beaucoup de nos exercices d'éviter la banalité, les clichés, et donc de chercher à surprendre par le ton, les personnages, les situations...

 

 

Elles ont choisi de parcourir le pays, de ravaler leurs dépits. Les hommes, stop, on zappe, on oublie. Elles ont jeté les valises dans le coffre de la Clio et taillé la route. Un vagabondage intellectuel, initiatique. La Bretagne d’abord, elles ont hanté Combourg, froid, austère, traqué Chateaubriand. Puis elles se sont invitées chez Georges Sand à Nohant, convivial et champêtre. Elles sont descendues vers Bordeaux, poursuivant Montesquieu  dans son antre à La Brède. Cela fait déjà dix jours qu’elles s’évadent, qu’elles s’allègent, qu’elles respirent. Hélène observe Louise qui se dénoue. Les premiers soirs, elle s’endormait vite, recroquevillée en chien de fusil, la tête enfouie dans les draps. Au fil du temps, elle s’est étirée, occupant tout l’espace, une jambe, un bras, un sein dénudés, offerts. Hélène s’assied, haletante, sur son lit jumeau. Son cœur roule dans sa poitrine, écrase les poumons, comme une boule dans un jeu de quilles. Elle va à la fenêtre qu’elle ouvre grande, happe l’air, expire lentement. Puis, se dirigeant vers le lavabo, elle se passe de l’eau sur le visage, jette un œil à son reflet dans la glace.

-         Que m’arrive-t-il ? 

 

Elles reviennent sur Paris, explorant les châteaux de la Loire. Profitent d’une halte au Clos Lucé, domaine du Seigneur de Vinci. Le parc est magnifique et la lumière, en cette soirée de la fin août, est d’une blancheur crémeuse, irréelle. Procure une harmonie, une quiétude que personne ne songe à rompre. Les visiteurs chuchotent, leurs pas glissent dans les allées, et au détour de chacune d’elle une machine gigantesque du génial inventeur incite à la réflexion, à l’admiration. Les filles avancent en silence, découvrent la flore et la faune d’un écosystème marécageux. Elles  traversent le grand pont de chêne à double travée, se promènent à l’ombre des grands arbres, dans la fraîcheur des sources jaillissantes.

 

Hélène s’éloigne un instant, tandis que Louise contemple les canards et les carpes dans la mare. Elle se dirige vers le jardin botanique, se penche, attribue un nom à chaque plante. Elle veut occuper son esprit, chasser le trouble qui la saisit et l’effraie. Sur le sol, elle remarque une minuscule boîte blanche et l’ouvre dans le creux de sa main. Tel un vizir ou le génie de la lampe, Léonard apparaît, majestueux. Il ne porte pas le lourd manteau de velours des riches citoyens de Milan mais une sorte de blouse blanche. Il ressemble à un apôtre. Ses longs cheveux, sa barbe en pointe et un sourire prophétique illuminent son visage. Hélène se secoue, c’est le moment de dire des âneries, arrête la coke et l’ectasy, ma fille !  

Laisse tomber les feuilletons surnaturels, les « Stargate »,

les « heroes », eh, ho, atterrit ! Ou alors achète l’intégrale de « the L Word », parce qu’avec ce qui t’arrive, tu en auras besoin !

La voix de Léonard, s’élève, impose le silence :

-         Il n’y a pas de maîtrise à la fois plus grande et plus humble que celle que l’on exerce sur soi.

Hélène hoche la tête, esquisse un sourire. Et tandis que le spectre disparaît, énigmatique, un rien farceur, elle écarte ses doigts recroquevillés sur l’objet dans sa main. C’était un caillou lisse et rond qu’elle dépose doucement dans la terre.

 

Elle retrouve Louise assise en tailleur au bord de l’eau, hypnotisée par l’onde qui se propage à la surface. Elle passe un bras autour de ses épaules et l’autre sursaute. Il est trop tard, je ne peux pas m’éloigner de son odeur, de sa chaleur. Plus maintenant. Tout ça c’est de la faute à Léonard ! Je n’ai pas son calme, sa philosophie. Pour se donner du courage, elle attend qu’il souffle  une autre maxime, un prétexte, un alibi. C’est dans le bruissement des feuilles et la course du vent à travers les joncs qu’elle entend : louer ou censurer ce que tu ne comprends pas peut causer préjudice.

Alors elle s’autorise un geste, se rapproche davantage, pose sa tête contre l’épaule de Louise et murmure :

-         Tu as froid ?

-         Non au contraire. Je suis bien.

     

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26 octobre 2008 7 26 /10 /octobre /2008 17:43

 

 

Christian est un jeune homme romantique, très grand, très beau, très doux. Par ses traits réguliers et ses yeux pleins d’étoiles, il rappelle le chanteur Mika. Sa voix est suave, il a des gestes amples, élégants. De la grâce, du raffinement. Il se déplace avec lenteur et distinction : c’est un dandy égaré au vingt et unième siècle. C’est un séducteur bien sûr. Les filles pour lui c’est du gâteau : il les enrobe comme du sucre, il les englue comme du miel. Et il tétanise les grand-mères :

-         Oh, quel beau jeune homme, quel dommage, je n’ai plus vingt ans et pas même une petite-fille à lui présenter !

 

Christian a vingt neuf ans. Il soigne son apparence, porte des chemisiers blancs entrouverts sur une chaîne en or et une poitrine glabre, étroite. Arbore un crucifix à l’oreille gauche : je suis un  mystique, dit-il. Il entoure quatre doigts de chaque main de bagues en argent, ça donne du poids à sa langueur. S’accroche un bracelet en cuir au poignet droit,  ajoute une touche virile à sa préciosité. Christian plaît, je l’ai dit. Mais il ne sait pas ce qui lui plaît à lui.  Il rêve de peinture et de bandes dessinées, s’est lancé dans la « final fantaisy » et s’échappe, s’échappe. Ca lui permet d’occulter qu’il vit de petits boulots. Ca lui permet d’oublier Aline qui s’est casée ailleurs parce qu’elle ne supportait plus ses fuites, ses hésitations, ses regards vides et larmoyants. Aline qui ne sait pas ce qu’est un artiste, ne voit pas le mur d’incompréhension dressé devant lui. Qui n’imagine  pas que  douleur rime avec  création. Aline est  droite, sage, raisonnable. Elle n’a pas ce grain de folie, ne laisse aucune place à l’imprévu. Avec elle tout est simple. Or c’est si compliqué la vie !

 

Christian a rencontré Sylvie. Elle a vingt quatre ans, est très belle et aussi folle que lui. Sylvie est merveilleuse, elle fait des études de philosophie, elle aime discuter, elle sait tant de choses. Avec elle, la vie a une vraie saveur, elle peut expliquer, recadrer, décortiquer les événements. Dans les soirées, avec elle, Christian ne s’ennuie jamais, elle brille par sa beauté, son intelligence. Alors on l’envie, lui, on le jalouse. Ca ne dure pas. On pardonne. A tous les deux.  Car Sylvie accompagne les délires de Christian, assiste à ses créations, elle a  servi de modèle pour l’un de ses tableaux. Ca représente une femme bleue et nue alanguie sur une mer rouge surmontée d’un soleil vert. C’est délicat, c’est futuriste, c’est coloré.

 

Christian n’aime pas Paris. Il a besoin de calme et de feuillages, et d’eau.  Il a besoin de contempler. Il vit à Auvers, chez ses parents dans une grande maison non loin de l’Oise où ses yeux plongent dans la noirceur du monde. Où son inspiration trouve sa source. Il est si conscient de ses tourments que ses petits boulots s’en ressentent, il est souvent en retard. Une heure, deux heures parfois. Il a tant œuvré sur la toile qu’il a oublié l’heure, s’est couché à trois heures du matin. Et il avait si mal au crâne… Ce sont les explications qu’il donne à ses employeurs. Ou alors il raconte que s’il prend le train d’avant, il arrive une demi heure trop tôt, donc il préfère arriver avec une heure de retard en prenant le train d’après. Ca se tient comme raisonnement. C’est limpide comme le regard de Christian. Ce regard qui se voile parfois quand il songe à acheter un appartement, à gagner de l’argent. A entrer dans la vie quoi, essayer au moins. Construire un jour, quelque chose ailleurs.

Christian prépare une exposition à la mairie d’Auvers. Il a prévu de valoriser son stand, sait quels tableaux il exposera. Avec son frère il a dessiné des marque-pages dans le style « final fantaisy », qu’il vendra un euro ou deux aux enfants. Ils se vendront bien. C’est un début. Christian a crée un blog. Comme ça tout le monde appréciera son travail. C’est vrai qu’il est doué, mais il est si lent, indéterminé. Volonté, endurance n’entrent pas dans son caractère. Il aurait dû naître dans les îles. Avec tous les clichés que ça suppose, on aurait mieux supporté.

 

Christian a rencontré Laurie. Elle a quarante cinq ans et le charme des femmes mûres. Elle a une situation, de l’argent, un mari depuis vingt ans et des enfants déjà grands. Elle pourrait l’aider. Alors il sort le grand jeu. Les doigts qui frôlent, les yeux qui tuent et tout le bazar. Il dit qu’il a une copine, Sylvie. Qu’elle est très belle, qu’elle est en vacances, qu’il espère qu’elle ne va pas voir ailleurs. Mais que lui ça ne l’empêche pas de s’intéresser aux autres femmes. Quand  il dit ça, il enfonce les pupilles dans l’iris de Laurie comme pour transférer de l’amour. Et du sucre. Mais sur Laurie ça glisse, le sucre. Il y a du vernis dans ses yeux, elle a connu les larmes et la trahison. Les manigances d’un petit branleur elle s’en fiche. Et Christian n’insiste pas. Il a juste un rictus, une parole sèche du style, vous ne savez pas ce que vous perdez. Il est adossé à une commode, Laurie ne voit pas que sa main derrière lui agrippe le bois. Qu’il perd l’équilibre. Qu’il se demande où est sa place dans la société.

 

Depuis peu, Christian rêve la nuit. Aline… 

 

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