Nous avons prévu une soirée dégustation dans ce petit bar, arrosée au Crozes Hermitage accompagné de toastinettes au jambon, chèvre et tomates séchées. Un cadre cosy pour un tête- à-tête romantique. Au fond de la salle, seule à la grande table, une trentenaire commande un verre de Sancerre, déplie ses grandes jambes bottées et son ordinateur. Elle mâchouille une branche de lunettes, enroule une mèche de cheveux à son doigt et pianote de l’autre main. Peu à peu les filles arrivent, les autres, les copines. On s’embrasse, se détaille, tu as maigri toi, et tu reviens du ski ma parole, oh la la si tu savais, on n’a le temps de rien. Eclats de voix, exclamations, fous rires. Les vacances au Maroc, c’était génial ! Une grande maison sur la falaise à Agadir, les enfants ont adoré !
Image prise sur le net.
Tu as commandé ? Je redescends consulter la carte. Un verre de vin pour commencer, comme toi ! Je reviens de la réunion de classe de neige de Théo, je me suis trompée figures-toi, j’ai assisté à une autre réunion pendant une demi-heure avant de m’en apercevoir. La galère ! Alors excuse mon retard.
C’est ma belle-mère qui garde les enfants, je ne vais pas rester longtemps, tu sais ce que c’est… Et Mathieu qui a dû rester au bureau…
Les voix se mélangent comme des fils de pelotes déroulées en tous sens. Les esprits sont en surchauffe. C’est un brouhaha, la salle se remplit mais nous le remarquons à peine. Tout le monde a trente ans, les discours à cette table ont submergé les nôtres. Car nous nous taisons, absents à nous-mêmes, vaincus, assommés doublement. Par le vin un peu et par ces dames, c’est une certitude.