Le casse-tête cette semaine chez Sherry est : siège.
D’ici on ne voit que lui, échoué près du grillage. Personne n’a envie de s’asseoir sur ce banc qui semble froid, lisse et dur en hiver, brûlant et râpeux l’été. Les amants s’y arrêtent pour un baiser furtif mais ne s’y attardent pas. Comme s’ils devinaient que je veille. Ce banc n’a pas besoin d’attouchements, et se passe de démonstrations de tendresse. Ma présence, ma jalousie en découragent plus d’un. A moins que ce ne soit la courbure de mes hanches, et la manière dont je bombe le ventre. Ou le mouvement de mes jambes pleines et lascives. Mon port de tête peut-être, fier altier, légèrement incliné, mon regard soumis. Ce banc est mon siège. Je l’aime et il m’appartient. C’est une brûlure, une histoire impossible, un sentiment éternel. Comme deux étudiants, chacun à une extrémité de l’amphi, se mangent des yeux et en oublient de noter le cours. Comme un petit poisson, un petit oiseau, s’aimant d’amour tendre et ne sachant guère s’y prendre.
Il y a ce message chuchoté par le vent et qui nous lie. Qui incommode les curieux. Ceux qui osent s'installer, se bouchent les oreilles, rajustent leurs écharpes l’hiver, et éternuent au soleil, l’été. Il y a la lumière des petits matins, quand le jardin est désert. Un brouillard plane sur la ville et nous enveloppe dans son écorce de coton, adoucit nos contours qu’il rend laiteux, opalescents. C’est l’unique instant où nos peaux de pierre sont en contact, où s’ébauche une caresse entre nous.
Certains y calent une fesse pour téléphoner, l’œil collé à la montre. Lire une annonce dans le journal, dévorer un croissant ou un sandwich, se poser essoufflé, rajuster le pantalon d’un enfant joueur. Ils ne s’enracinent pas. Ce siège n’incite ni à la rêverie ni à la confidence. Il éjecte. Et ressemble à un passant qu’une foule agacée aurait porté dans son flot puis déposé là, comme une barque ensablée. A la merci de mon regard.
Clin d’œil à l’exposition Eugène Atget, photographe, 1857-1927, au Musée Carnavalet à Paris. Photo : Cassandre, par le sculpteur André Millet, jardin des Tuileries, 1er arr., 1911.