Défi 112 chez Lénaïg: commencer son texte par « Quand les poules auront/avaient des dents »
Quand les poules auront des dents je saurai pourquoi les mots dégoulinent de mes doigts sur la page comme de la confiture qu’on étale partout, malgré soi. Ca me démange, une sorte d’allergie, de déficit immunitaire, une carence en vitamines, un défaut de fonctionnement du thymus. Peut-être…
Alors il faut que je gratte du papier, que je tapote un clavier, pour contenir cette fuite des mots avant qu’elle n’occasionne trop de dégâts. Cela intervient comme une crise, soudaine, affolante, une coulée de lave. Ca n’a plus seulement la couleur de la confiture mais la chaleur des hauts fourneaux. Les mots explosent et fusent, surgissent du fond de moi, bouillonnement, trop plein, ras le bol… Ils se bousculent pour sortir. Déposés là, ils attendent que je les rassemble, que j’organise un discours. Eparpillés ils ne ressemblent pas à grand-chose. Et je ne sais pas trop quoi faire d’eux.
Certaines fois, les mots me disputent. C’est l’émotion qui est le déclencheur. Pourquoi ? Mystère ! Une exposition, une sortie, un spectacle, un tableau, un accident de la vie, la famille…Les stimuli sont nombreux, et les mots ont hâte de sortir, ils sont organisés, précis, volontaires. De vrais soldats, ils commandent, j’obéis. Ils forment des bataillons serrés cadrés, avancent au pas. Comme sur les Champs Elysées, le quatorze juillet. Ils sont fiers, bouffis d’orgueil, déterminés. Ils portent un costume et m’obligent à saluer. Je me prosterne devant eux qui me manipulent.
D’autres fois, je crois tenir les mots. Je sais ce que je veux dire, comment, pourquoi. Je formule des idées, développe une argumentation, établis des comparaisons. Pourtant lorsque je me relis, j’ai le sentiment d’avoir écrit sous la dictée, je ne reconnais pas mes mots, mon langage. On dirait qu’un fameux docteur s’est exprimé à travers moi, révélant ma face cachée.
Et sincèrement je me demande si je n’aurais pas mieux compris, si une explication n’aurait pu m’être fournie, autrefois, quand les poules avaient des dents.