Samedi 22 mars, métro Place des Fêtes à Paris. Il est dix-neuf trente et ils se préparent à dormir, déjà. Ils se sont installés au milieu des voyageurs et se sont fabriqués une chambre confortable avec des couvertures et des morceaux de cartons. Rien ne les dérange, ni le va et vient des passants, leurs rires ou leurs cris, ni l’air glacé de la rue chassé dans les couloirs, ni le sifflement des trains sur les rails. L’éclairage blafard de la station et les affiches géantes vantant les îles et les douceurs tropicales constituent leur décor mais je doute qu’ils les regardent. A cette heure où les autres sortent et retrouvent des amis, vont au restaurant ou au cinéma, ils s’apprêtent à hiberner.
Ils sont trois, barbus, sales, portant un improbable bonnet sur la tête. Ils opèrent en équipe. Car ils ont hérité d’un matelas pneumatique et de sa pompe. Tandis que l’un actionne le soufflet avec son pied, l’autre maintient le matelas en place. Le troisième trône sur un amas de cartons et lève une canette de bière à leur santé. Son regard plonge dans le mien un instant, glacial. Et je sursaute, je réalise qu’il devait y avoir du rejet, du dégoût, de la pitié dans mes yeux. Je me détourne et juste avant de leur donner le dos, j’aperçois ce gros cabas MONOPRIX, une espèce de gros sac de provisions, en plastique tressé, qui aurait dû recevoir des fruits, de la viande et des conserves, un de ces sacs pesants et que l’on porte avec peine habituellement, en opérant une halte, en reprenant son souffle, ou que l’on dépose dans un charriot jusqu’à sa voiture, et qui cette fois déborde de cartons, cordages, pièces de tissus et autres ingrédients dont s’encombrent les oiseaux qui font leur nid.
Sur le sac une inscription en lettres majuscules bleues et blanches m’arrête comme un tir de grenaille fauche un pigeon en plein vol. Ca disait :
VOTRE VIE SE DOIT D'ETRE BIEN REMPLIE