Ce sont des soirées VIP, enfin si on considère que les pharmaciens sont des VIP. Elles se déroulent une fois le rideau tombé. Quand on soupire dès que le dernier client est parti. Pas parce que c’est casse pieds les clients mais parce que la disponibilité et l’obligation de bonne humeur demandent des efforts. A nous les pharmaciens. Pas gros les efforts, mais un peu quand même.
D’abord on ne dit pas les clients mais les patients, on ne parle pas de clientèle mais de patientèle. Il faut vous demander gentiment de fournir votre carte vitale et les coordonnées de votre mutuelle, vous informer avec tact quand vos droits sont dépassés, prendre des nouvelles du bébé. Imposer les génériques. En douceur… Comprendre que vous ne pouvez pas régler tout de suite, avancer votre traitement car le médecin est en vacances. Admettre que vous n’aimez pas les sachets, ni les suppositoires. Et sourire, papoter, plaisanter car vous êtes notre survie, notre quotidien, que nous ne saurions nous passer de vous. Notre métier c’est l’humain. Et le commerce.
Alors dans ces soirées, rien que pour nous, organisées par les laboratoires ou les groupements pharmaceutiques, on nous chouchoute. Aux petits oignons. Elles ont lieux dans des endroits très agréables, un musée, un théâtre sur les boulevards, un restaurant offrant un beau panorama. Lorsque la Samaritaine existait encore, le magasin a été ouvert rien que pour nous, un soir. Dès l’entrée, une hôtesse coche notre nom sur un listing et nous dirige vers le vestiaire. Tout au long du chemin, ou derrière un grand buffet avec de belles nappes blanches, des serveurs offrent le champagne. A volonté. Avec ou sans petits fours. Le monde arrive, bavard, disert, détendu. Certains ont sorti la belle robe noire et le costume, d’autres s’en fichent un peu. On se retrouve entre professionnels de la profession. Des ho, des ha, des bonjour monsieur le directeur, vous ne connaissez pas mon époux. Je vous présente le petit dernier, la relève est assurée. Il y a ceux qui sont là pour voir. Des couples un peu perdus, une coupe à la main et les yeux dans le vague. Il fait chaud.
Nous avons droit au discours d’un ou plusieurs cravatés. Puis à un spectacle ou un repas à thème : le vin, le cacao… Après le spectacle, il fait faim. C’est cocktail dînatoire, petits fours salés, sucrés, vin, champagne de nouveau. Et la valse relationnelle de bon ton reprend. Il y a comme partout, les piquets de buffet, ceux qui restent devant, picorent copieusement et ne bougent pas.
C’est appréciable vous savez, tous ces efforts qu’on fait pour nous dorloter. Et nous remercier de passer commande régulièrement.
Tout ça pour dire qu’à minuit tout le monde s’en va. C’est que le lendemain il faut ouvrir l’officine, vous nous attendez de pied ferme. C’est bien beau de jouer les personnages, de se croire invités au mariage des princes William et Albert, mais notre quotidien, c’est vous, vos petites misères. Les petits fours, c’est comme de la pommade, une panacée dans la grisaille, dans la routine. Vous, c’est du concret. Et vous vous chargez de nous le faire savoir.