Il avait choisi un endroit singulier. Un hall de gare immense, une sorte de réfectoire d’usine, clinquant et branché. Des tables rapprochées, des conversations jacassières et véhémentes. Les sièges, les colonnes disséminées ici et là, le bar, les plateaux, et même la pancarte des toilettes étaient en acier et luisaient d’un vernis froid et métallique. Autrefois au cours de la soirée, les fumées des cigarettes s’y seraient enroulées. Elles en auraient terni l’éclat, auraient comblé la salle. Chacun n’aurait distingué que ses proches voisins. Ce qui ne m’aurait pas déplu. Car ce beau monde, des couples majoritairement ou des messieurs seuls à la recherche de décolletés avantageux, transpirait la bourgeoisie parisienne. Un lac sans reflets, un miroir sans teint.
Ca n'est pas mon héroïne bien sûr, elle est plus rigolotte!
Je détournai mon regard vers une cliente esseulée, à la table contiguë de la nôtre. Elle avait l’air d’une Esmeralda abandonnée de son Phoebus. Je détaillai ses cheveux noirs à ressorts, les anneaux argentés à ses oreilles, son chemisier moulant au col en fourrure, sa jupe longue et ses bottes raclant le carrelage. Un coup d’œil à sa montre, à son portable dans le sac, elle commanda un verre pour patienter, composa son menu sur la carte, mais je ne suis pas seule, il va arriver, ne faites pas marcher la commande, encore un moment s’il vous plaît. Se pencha à la fenêtre, le cou tendu ainsi qu’une ride à sa joue. Sourit, traça des moulinets avec les mains, se cala sur sa chaise, posa les deux poings sur la table, se redressa, jeta un regard circulaire dans la salle et me dévisagea d’un sourire qui ne m’était pas adressé. Ah, enfin, le voilà !