Madame Hardy est une personne très expansive. Elle parle haut et fort. Sa voix est flûtée, perchée et s’évade parfois dans les pleurs. Ce ne sont pas des pleurs mais des gargouillis, des gloussements rentrés. Elle pleure un peu pour le bonheur d’être consolée par une âme charitable. Et beaucoup pour occuper sa solitude. Elle porte un beau chapeau bleu foncé à rebord avec du tulle autour et une grosse fleur blanche sur le côté. Elle monopolise l’attention des passants. Elle les prend par le bras, cligne de son oeil rond, prend les femmes à témoin, s’extasie sur leurs robes ou leurs chaussures. Elle sermonne si un décolleté lui semble trop plongeant. Elle ponctue ses phrases de « oh la coquine ! Je vais faire guili guili ! » et ajoute « Que va dire votre mari ! ». Elle virevolte puis s’arrête, avance une bouche lippue, fronce le nez. L’œil roule dans son orbite, la main voltige au-dessus de la tête. Mme Hardy évoque son âge tout à coup, elle raconte les tracas de sa ménopause et éclate: Je suis une grosse dondon !
Elle se plaint d’une voix éraillée : ma tante est très malade, vous savez, je vis un moment très difficile. Et elle sursaute, se hisse sur les talons de ses chaussures, dévoile des mollets grassouillets. Elle s’esclaffe : c’est mon anniversaire aujourd’hui, c’est ma journée ! A peine lui a-t-on répondu : alors, joyeux anniversaire, Mme Hardy ! par politesse et avec indulgence, qu’elle s’écrie : Merci!, reconnaissante. Son teint s’illumine, ses joues rosissent, ses pupilles lancent des flammes. Et la torpeur la reprend, la détresse, l’angoisse. Elle se tasse, elle soupire : ah ma pauvre tante ! Son cou est luisant de sueur, sa poitrine replète se soulève. Elle déprime bien sûr, par moment, elle oublie son traitement, jette ses médicaments aux ordures. C’est pourquoi elle est imprévisible et son comportement nous inquiète autant qu’il prête à rire.
La Couronne d’Or est un restaurant chinois de l’Avenue Jean Jaurès à Paris. C’est un peu notre cantine. Sa spécialité, ce sont les brochettes et la fondue chinoise. Nous y apprécions le calme, l’aquarium et ses poissons énormes et voraces. Le coin dévolu à Boudha nous fascine et a quelque chose de magique. C’est peut-être dû aux baguettes d’encens et aux offrandes sans cesse renouvelées. Des paravents en bois laqués et incrustés de nacre séparent les tables créant une intimité bien agréable. Le seul bémol est le zèle un peu trop évident des patrons à nous servir, à se débarrasser du client rapidement les soirs d’affluence. Mais le jour où nous avons rencontré Mme Hardy à la Couronne D’Or, à une table voisine de la nôtre fut mémorable.
A suivre....