Thème du défi 93 chez Jeane Fadosi : les âges de la vie.
Parfois le hasard voue joue des tours. Nous nous sommes reconnus sur un site de retrouvailles, il s’appelle Jean Marc et sa mère avait été mon institutrice de maternelle à Casablanca, à l’école Mers Sultan. Mes parents me conduisaient régulièrement dans une petite villa sur les hauteurs dans un quartier débaptisé aujourd’hui, mais je me souviens qu’à l’époque, c’était rue de Jussieu. Le rituel était toujours le même, après une grenadine et deux tartines de pain à la confiture rapidement avalés dans la cuisine, nous construisions une cabane dans le jardin, chez Jean Marc. Nous jouions au papa et à la maman, très chastement, je vous vois venir, petits filous ! La seule marque de tendresse qu’il s’autorisait était un petit mot tendre : « ma caille », une expression sans doute empruntée au vocabulaire de ses parents. Parfois nous fabriquions des médailles en cartons, que nous nous décernions au terme d’épreuves olympiques et sportives organisées le plus sérieusement du monde.
Et là, Jean Marc reparaissait dans ma vie, tous ces souvenirs déterrés comme des médailles. Nous avons commencé à nous raconter nos vies banales. A égrainer nos souvenirs, les siens, les miens un peu différents, moins aigus, je suis plus jeune que Jean Marc, mes images sont floues. Nous avons évoqué nos parents, les camarades d'école de l'époque, le Maroc hier et celui d’aujourd’hui. Sur le net, les mots viennent aisément, comme des sourires, ils se déguisent, se mettent en valeur, fanfaronnent. Ni lui ni moi n’avons posté de photo de nos visages de quinquas. Aujourd’hui un petit garçon blond de neuf ans correspond avec une gamine frisée de sept ans. Quand je dis correspond, je dois rectifier, nous avons échangé deux messages en tout et pour tout. Nous nous sommes promis de nous rencontrer, si nos voyages nous conduisent, chacun, à l’autre bout de la France. Cela a même failli se produire, mais à la dernière minute, Jean Marc s’est décommandé, un décès dans sa famille. J’étais soulagée, je l’avoue. Je n’ai pas envie de confronter mes souvenirs au présent. Il ne me plairait pas que ce petit garçon de neuf ans me dévisage comme si j’étais sa grand-mère. Il ne me plairait pas d’écarquiller mes yeux d’élève de CP devant ce monsieur d’âge respectable. Laissons une chance et une place à nos souvenirs